Mot d’accueil et homélie du Père Abbé de Saint Benoît-sur-Loire le 25 février 2017 – Obsèques de jacques Breton
Jacques a rendu son dernier souffle aux premières heures du dimanche, jour de la résurrection. Depuis longtemps, il avait exprimé son désir d’être inhumé ici ; en novembre dernier, il confirmait ce souhait en m’écrivant : « Je me sens très en communion avec la communauté de Fleury. Je demande à être inhumé avec les moines de Saint-Benoît et que la cérémonie qui précède ait lieu dans la basilique de Saint-Benoît ».
Et son archevêque, le cardinal Vingt-Trois, donna son aval en m’écrivant : « Si vous pouvez encore lui accorder cette ultime hospitalité, je vous en suis reconnaissant ».
Avec vous, sa famille, ses amis, les membres d’Assise qui l’avez accompagné à la fin de sa vie, nous célébrons maintenant pour lui l’eucharistie, mémorial de la pâque de Jésus, qu’il a lui-même célébrée chaque jour, et nous le confions à la miséricorde de Dieu.
Homélie du Père Abbé
« Voici que je vais faire entrer en vous l’Esprit et vous vivrez… Je vous ferai remonter de vos tombeaux ». Par la prophétie d’Ezéchiel, le Seigneur annonce sa victoire sur la mort, son dessein de vie et de salut pour ses créatures, l’envoi de son Esprit Saint pour revivifier ce qui est nécrosé par le péché. La vie de Jacques a été comme un long passage de la mort à la vie : il l’a retracé dans son autobiographie, sous-titrée de façon évocatrice : La traversée de l’obscur (1). Sur ce chemin, il a été guidé par l’Esprit-Saint : « J’ai toujours eu une grande dévotion à l’Esprit… Je le reçois du Père, comme un souffle qui s’unit à mon propre souffle sans pour autant fusionner avec lui » (p. 106).
Marqué douloureusement dès son enfance et sa jeunesse par le deuil précoce de ses parents et d’un petit frère – qu’il aimait d’ailleurs invoquer dans les situations difficiles –, il fut taraudé en ces années par la pensée de la mort, connut l’isolement, la culpabilité, la fuite dans l’imaginaire. Mais il fit aussi la découverte du Christ, de sa lumière et de sa tendresse ; cette rencontre forte, à l’âge de dix-sept ans, fut une expérience fondatrice qui orienta toute son existence : « À ce moment-là, j’ai compris que ma mission, ma raison d’être sur cette terre serait de vivre de cet Amour, de le faire connaître, de le communiquer » (p. 13).
Cependant, il fallut encore de longues années pour que ce feu intérieur purifie et transforme tout son être. Certes, en devenant prêtre, il avait trouvé sa vocation, mais il subissait encore la vie, tourmenté et complexé. Ses fréquents changements de ministère, dans ses premières années de sacerdoce, manifestaient qu’il n’avait pas encore rejoint son centre de gravité. Attiré par la mystique, il fit une tentative de vie carmélitaine puis devint ermite en Sologne, gagnant sa vie par le rude travail de bucheronnage. C’est alors qu’il se lia avec notre monastère, y trouvant une famille accueillante et un enracinement ecclésial ; pendant plus de quarante ans, il y vint régulièrement se ressourcer et y partager avec des frères sa pratique pour unifier le corps et l’esprit.
Sa rencontre avec Graf Dürckheim et le long travail qu’il fit sur lui-même dans son centre de la Forêt Noire, puis son initiation au zen dans les monastères japonais furent déterminants dans son cheminement : il avait besoin de ces rudes disciplines pour à la fois guérir de vieilles blessures et maîtriser une nature forte. Il les pratiqua courageusement et les estima ; pourtant, écrit-il, « bien que je croie être entré profondément dans ce que propose le bouddhisme zen, je n’y ai jamais adhéré » (p.103).
Le zen fut pour lui un chemin d’intériorité mais ne se substitua pas à sa foi chrétienne ; même s’il traversa des périodes d’incertitude et de remise en question, la pratique assidue de la méditation l’aida à nouer avec le Seigneur une relation plus intime. Son enracinement dans le Christ, sa dévotion filiale envers la Vierge Marie qu’il avait prise pour mère à la mort de la sienne (p. 23) et qu’il allait régulièrement prier à Lourdes – et Jean-Louis me disait ce matin qu’il a célébré sa dernière messe le 11 février, fête de Notre-Dame de Lourdes –, son lien avec notre monastère et les conseils qu’il y reçut, lui évitèrent de s’égarer. Et plus il avançait, plus il approfondissait sa foi, plus il s’émerveillait de la mystique chrétienne, plus son âme d’apôtre brûlait de zèle, au risque, parfois, de ne plus être suivi par ceux qui n’en étaient pas là ; mais c’était pour lui le plus beau des cadeaux quand des personnes qu’il accompagnait renouaient avec le Christ, se confessaient, communiaient…
Pour avoir parcouru ce chemin, il fut à même de guider ceux qui étaient à la recherche de leur identité, de leur unité, de la paix intérieure. Il avait trouvé là l’axe de son apostolat, un apostolat aux frontières, sur des pistes encore peu explorées, sur un terrain à défricher, celui de l’évangélisation de la soif de spiritualité de nos contemporains lassés du matérialisme et du consumérisme. En fondant le Centre Assise, il entendait jeter un pont entre les sagesses d’Extrême-Orient, la discipline de Graf Dürkheim et la mystique chrétienne ; ce fut l’œuvre de sa vie, il y tenait beaucoup, il nous la laisse en héritage.
« À moins de naître d’eau et d’Esprit, nul ne peut entrer au Royaume des cieux » : Jacques a connu cette nouvelle naissance, initiée à son baptême, approfondie sur son long chemin de libération et maintenant accomplie dans l’éternité. « L’Esprit Saint crée le ciel en toi », disait sainte Élisabeth de la Trinité (Lettre 239) : il en a fait l’expérience ici-bas, il y est désormais pleinement entré.
1 – Jacques Breton, L’itinéraire singulier d’un prêtre catholique. La traversée de l’obscur. Paris, 2011.